Par Sami Basbous
Zyara est un mot arabe qui signifie « visite » ou « rencontre ». Muriel Aboulrouss et Denise Jabbour sont les réalisatrices et productrices libanaises de Zyara. À travers des clips vidéo de cinq minutes, des personnes de toutes confessions, origines sociales, orientations sexuelles et conditions économiques nous racontent leur parcours douloureux et comment elles l’ont surmonté. Elles nous présentent leur cas (rejet parental, maltraitance, avenir brisé, addiction, handicap, exil…)
Chaque Zyara est une œuvre d’art, un poème et une hantise : une expérience hypnotique. Un étranger voilé semble vous rendre visite dans une brume atmosphérique. Vous faites de la place tandis qu’il raconte son histoire, parfois en détails fragmentés sans tenir compte de la continuité, un rêve que vous regardez et entendez. La visite semble mutuelle. Elle semble exister en dehors de l’espace et du temps. Vous êtes tous deux libérés de la subjectivité. Un visage transparaît progressivement d’un abîme, ou d’un nuage, émergeant d’un traumatisme, ne reléguant rien à l’oubli. Vous êtes témoin d’un passage vers la lumière, d’une offrande de transcendance à l’ascension. Vous, l’hôte, êtes autorisé à assister à un dénouement, à une émancipation de la profondeur intérieure d’un invité que vous percevez progressivement comme un ami, un parent, une sœur, un frère, une mère, un père, un amant ; Vous ! Zyara est une expérience aussi puissante. Les voyages émotionnels sont authentiques, cinématographiques, émouvants, lyriques, dépourvus de sensationnalisme, de superficialité et d'apitoiement sur soi-même. Ils nous émeuvent et nous reconnectent à notre humanité.
La démarche de Denise et Muriel est simple : elles rendent visite à une personne qu'elles ont repérée, qui leur a été recommandée ou qu'elles ont elles-mêmes suggérée. La personne partagera son histoire, un témoignage sur un parcours douloureux ou traumatisant, sur la façon dont elle a surmonté cette épreuve et sur les leçons qu'elle en a tirées.
Muriel se perd et se retrouve à la place de son hôte, s’imprègne des images qui l’entourent et décide des angles de prise de vue. Elle filme les éléments qui vont enrichir le récit, notamment ce que l’interviewé aime particulièrement, que ce soit un tableau ou une fenêtre donnant sur un jardin ou une nature aride, qui ressemble le plus au personnage. « Je m’imprègne complètement de l’atmosphère, et au-delà de l’aspect informatif ou représentatif, je filme intuitivement toutes les images qui représentent et personnalisent nos invités. Comme si ma caméra était dans mon corps, mon cœur, avec de l’émotion, de la poésie, de la tendresse, de l’amour, de la lumière… Que je ne peux pas exprimer avec des mots mais qui vont refléter l’esprit de l’épisode. »
Denise entame une conversation avec l’animateur : « Je commence toujours par des questions banales, puis je vais progressivement plus en profondeur, en écoutant les aspects du sujet qui me semblent importants. La confiance s’installe et une histoire se raconte. Au fur et à mesure que la confession devient plus intime et souvent plus intense, je ne fais plus qu’un avec les sentiments de mon interlocuteur, en lui parlant cœur à cœur. Ce sont des héros, et nous protégeons nos héros ; aucune manipulation ni exploitation… »
L’entretien se termine après 60 minutes. Les questions de l’équipe du film sont ensuite les bienvenues puisque tout le monde travaille dans le même esprit et sait ce que le processus veut obtenir de son « héros » et pourquoi il a été choisi. Enfin, un repas est partagé.
« C'est un travail de création collaborative. Personne n'a l'exclusivité sur un paramètre. »
Zyara est née en 2014. Déterminées à être les co-éditrices de leur vie, les jeunes femmes sont sorties des sentiers battus et balisés du commerce. Avec le peu qu’elles avaient, elles ont choisi d’autofinancer leur vision et de donner la parole à ceux qui voulaient partager leur courage et démontrer leur résilience. Leurs premiers épisodes ont eu un fort impact, poussant les cinéastes et leur équipe (famille), à persévérer et à s’imposer. Elles ont depuis reçu pas moins de 45 prix internationaux, pour être reconnues par leur pays avec un 46e en 2023. Le travail d’amour de Zyara est rare et digne au Liban, ou dans le monde SWANA d’ailleurs, produisant des histoires sans complexe de résistance et de positivité, dépeignant toujours des sentiments authentiques dans le but d’aider les autres dans leur propre guérison et leur empathie les uns pour les autres, promouvant la beauté, l’ouverture et l’unité pour évoluer avec bienveillance dans notre humanité collective. Nous regardons, émus par ces mini-films qui envisagent des destins qui nous sont étrangers mais qui viennent nous chercher avec leur universalisme. Leur slogan est « La vie est une courte Zyara ». Rien de bref ou de basique dans cette phrase, mais une ouverture et une promesse.
« En plus de YouTube et du site officiel de Zyara, Muriel et Denise diffusent leurs épisodes dans des cinémas improvisés et appropriés au niveau local et international. Les gens sont touchés, enthousiastes et désireux de nous raconter leur vie et leurs expériences. Mais les projections que nous faisons dans les écoles libanaises sont les plus encourageantes. Nous voyons des enfants se lever de leur plein gré, s’identifier comme des tyrans et confesser avec remords leurs abus à leurs camarades, qui, à leur tour, les prennent dans leurs bras et leur pardonnent. Les enfants ont besoin de savoir que les adultes leur disent la vérité, qu’il est normal d’être vulnérable et que nous pouvons transformer cela en force. Nous voulons montrer que nous pouvons rester honnêtes à propos de nos émotions, sans en avoir honte. »
Les réalisateurs nous montrent que le traumatisme se propage au sein des familles et des communautés. Beaucoup préfèrent éviter la malédiction, la douleur, la honte et la culpabilité et se protègent dans le déni jusqu'à ce que quelqu'un naisse pour ressentir et éprouver ces émotions. Et ceux qui le font sont les plus remarquables. Ils sont nos guides, nos enseignants, nos anges et les guérisseurs de l'humanité. Ils guérissent la douleur que les autres refusent de ressentir. Il n'existe aucune formulation de système philosophique pour faire l'expérience d'une personne dans son état le plus authentique et le plus vulnérable. Les courts métrages apaisent sans effort les esprits sceptiques et les intentions de jugement silencieuses. On perd les systèmes de pensée analytiques dans les moments de sagesse, de grâce, de tristesse, de chagrin et de douleur indescriptible.
« Zyara a été une renaissance pour nous deux, une expérience qui nous a complètement changées », expliquent Denise et Muriel. « Il fut un temps où nous ne trouvions aucun espoir de vivre au Liban. Un paradis qui revisite sans cesse l’enfer, une soi-disant démocratie dirigée par une élite corrompue et un parti de Dieu censeur qui déclare la guerre à la communauté LGBTQA+. Mais nous avons trouvé le cœur incroyable du Liban à travers ses habitants sensés. Nous avons aligné nos cœurs avec l’harmonie et la vibration de l’un des peuples les plus créatifs et les plus résilients de la Terre. » Une déclaration qui reflète le message et le secret des épisodes de « Zyara » : trouver sa force et sa magie uniques, guérir et être en paix avec soi-même.
Interrogées sur ce que l’on peut offrir aux Palestiniens aujourd’hui et sur la manière de faire face au traumatisme que la plupart d’entre nous ressentons à cause de leur souffrance, Muriel et Denise complètent les phrases de l’autre en disant : « Regarder ces images est si difficile, et nous ne pouvons pas nous taire. Parfois, les gens ne se réveillent pas avant que la vie ne les frappe durement, et le monde va être frappé encore plus durement à plusieurs niveaux. Les diables ont montré leur visage sans vergogne. Il est temps de se réveiller, de parler, d’afficher, de manifester, de signer des pétitions, tout acte pacifique contre ce génocide est louable. Je crois que les enfants palestiniens portent sur leurs épaules la responsabilité de réveiller le monde, comme les Arméniens, les Soudanais, les Congolais… Les âmes de ces bébés et de ces enfants se sont portées volontaires pour visiter la Terre et souffrir afin de nous éveiller à notre humanité. »
Une voix dévoile son âme, un inconnu révèle une cicatrice, un visiteur raconte une histoire dévastatrice avec des émotions brutes qui vous étranglent la gorge. Vous réalisez que faire taire votre humanité inhérente à votre frère et à votre sœur qui souffrent est un acte violent d'auto-oppression.
Vous pouvez regarder les huit épisodes saisonniers de Zyara sur YouTube ou sur leur site Web : https://homeofcinejam.com/
Chaque épisode mérite d'être regardé ; en voici six :
https://youtu.be/0PROldpZLE4?feature=shared
https://youtu.be/rc6UyhHDwa8?feature=shared
https://youtu.be/Nb2SKIJrOqQ?feature=shared
https://youtu.be/s1MtU0AO8M8?feature=shared